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Mais si! La nuit m'est un territoire familier; ses hiboux, ses renards en chasse, ses parfums de terre et de fleurs, le fracas du hérisson parcourant la broussaille...

C'était pourtant mal engagé:
-"Maman, j'ai peur dans le jardin, la nuit.
-La nuit, c'est le jour... moins l'éclairage." (Ma mère s'y entendait à simplifier les choses.)
Et on m'a offert la lampe de poche, celle qui marchait un-coup-oui-un-coup-non: commencement des explorations!

Connaître la faune forestière, c'est être sur les sentes nocturnes. Sans lampe, surtout!

Se taire.
Marcher les yeux grands ouverts pour capter les rares paillettes de lumière.
Après un instant, le foisonnement d'éclairage vient de l'oeil, presque gênant à la fin.

S'asseoir. Ecouter.

Au crépuscule, après le Rossignol, la Grive chante encore. Toute la nuit parfois!
Des papillons se lèvent, pâles comme de petites lunes.
Les chemins de sable portent leur propre lumière diffuse, entre les buissons lourds d'ombre.

Le Coucou, ailes pendantes sur un arbre sec, lance vers le ciel tout son répertoire de sons rauques et de toux graves.
L'Engoulevent -le "faucon de nuit"- fait son vol de papillon, se pose, repart, virevolte à la poursuite d'insectes.

Le Merle entonne le Chant du Coucher.
Un instant de silence... puis, ce sont les sons mats des Sangliers en campagne, les couinements des marcassins (on croirait l'appel des Chouettes chevêches!)
Une matrone-sanglier guide tout un groupe de marcassins dociles, dont la plupart ne sont pas les siens.
Au gagnage et à l'abreuvoir, les hardes se rassemblent, les hiérarchies se révèlent.

Une Effraie passe en silence sur ses ailes souples.
Le Renard capture d'un bond son premier mulot de la nuit. Un Rouge-gorge dérangé dans son demi-sommeil lance un cri d'alarme et se réfugie plus haut dans le taillis.
Des Hannetons, à la fraîche, traversent l'air en vrombissant.

De part et d'autre d'une vallée de fougères, deux Hulottes se répondent: "Où? Où? Où es-tu?"
Une martre pressée franchit un pare-feu; de l'autre côté, une chute d'écorces légères indique qu'elle a grimpé à un arbre.

Tout au long de l'obscurité se prolongent les courses furtives, jusqu'à l'heure où le jour rappelle les chevreuils en-deçà des lisières.

                                    Françoise Branger