Les mers

1° Les Oiseaux marins

Les mers constituent dans leur ensemble un milieu très complexe et d'une productivité très élevée aux différents niveaux trophiques. L'énergie solaire fixée par les Algues microscopiques et les Diatomées est transférée à d'innombrables animaux aux populations très denses. Le zooplancton est formé de très nombreuses espèces, aux dépens desquelles vivent des animaux plus gros. Crustacés et Poissons sont des maillons essentiels de chaînes alimentaires très prospères. A leurs sommets se trouvent les grands Poissons carnivores, les Mammifères marins et des Oiseaux hautement spécialisés. Ces communautés sont à l'origine déterminées par les conditions physiques du milieu.

Bien que les Vertébrés aient une lointaine origine marine, les Oiseaux ont tous évolué sur la terre ferme. Très vite, certains d'entre eux se sont tournés vers la mer pour profiter de ses ressources. La plupart des Oiseaux les plus anciennement connus sont des espèces marines (ce qui s'explique aussi en partie en fonction des facilités plus grandes de fossilisation), et c'est parmi les Oiseaux marins actuels que l'on trouve les types les plus primitifs (Manchots, Pélécaniformes, Laridae); les Oiseaux les plus évolués, et notamment les Passereaux, sont résolument terrestres.

Les Oiseaux, tous forcés de venir sur le sol pour déposer leurs neufs, sont de ce fait même liés à la terre ferme pendant une partie de l'année; comme l'a dit Murphy, un Oiseau se nourrit où il veut, mais niche où il peut. De plus, à part les Manchots, incapables de voler et passant une partie de leurs cycles annuel et journalier dans l'eau, les Oiseaux les plus pélagiques sont néanmoins avant tout des animaux aériens; ils sont la plupart du temps au vol, bien qu'ils soient capables de nager et de plonger.

Si l'on fait abstraction de groupes ne fréquentant la mer que d'une manière occasionnelle ou au cours de l'hivernage (comme les Grèbes, les Plongeons, certains Canards et Oies, et les Limicoles), pas moins de 267 espèces d'Oiseaux sont primairement marines (ce quine représente toutefois que 3%au plus des espèces aviennes, alors que les mers occupent .70% de la surface de la planète). Elles appartiennent aux groupes systématiques suivants (leur nom est précédé d'un astérisque quand tous les représentants sont exclusivement marins):

* Spheniscidae (Manchots)

* Diomedeidae (Albatros)

* Proceliarüdae (Pétrels, Puffins)

'Hydrobatidae (Pétrels‑tempête) 

 Pelecanoididae (Pétrels plongeurs)

Pélécaniformes * Phaethontidae (Phaétons)

Lariformes

Pelecanidae (Pélicans)

* Sulidae (Fous)

Phalacrocoracidae (Cormorans)

* Fregatidae (Frégates)

Stercorarüdae (Skuas) Laridae (Mouettes, Sternes) Rhynchopidae (Becs‑en‑ciseaux)

* Alcidae (Pingouins, Guillemots)

Même parmi les groupes dont la répartition s'étend aux eaux douces, une forte proportion des espèces tend à la vie marine. C'est le cas, entre autres, des Laridae: à part quelques espèces, comme la Mouette rieuse, la plupart des Mouettes et Goélands (Lares) sont marins. II en est de même des Sternes, parmi lesquelles seules quelques espèces tropicales et les Guifettes (Chlirlonias) sont dulçaquicoles, et des Cormorans, dont la majorité fréquente les bords de la mer. En revanche, tous les Manchots (qui ne seront toutefois pas étudiés ici, car ils appartiennent au monde polaire, qui fait l'objet du chapitre II), tous les Albatros et Pétrels, les Frégates, les Phaétons, les Fous et tous les Alciformes sont rigoureusement inféodés aux eaux salées, dont ils ne s'écartent jamais. Ces Oiseaux forment l'essentiel des communautés d'Oiseaux marins et en sont les représentants les plus caractéristiques.

A ces types entièrement ou en grande majorité marins, il convient d'ajouter les représentants isolés de groupes surtout terrestres ou d'eau douce, devenus secondairement marins. Les Eiders et les Macreuses parmi les Anatidae et quelques Aigrettes parmi les Ardeidae prélèvent leur nourriture parmi les ressources marines tout au long de l'année, et beaucoup vivent en mer en dehors de la saison de reproduction. D'autres, tels que des Grèbes, des Plongeons, des Canards, quelques Oies et les Phalaropes, se tiennent en mer uniquement pendant leur hivernage. Bien que n'intervenant pas d'une manière aussi importante que les groupes évoqués précédemment, ces Oiseaux fort incontestablement partie des biocénoses marines pendant une partie de l'année, du fait que temporairement ils en tirent profit pour leur alimentation.

 

ZONE AUSTRALE. La zone australe entoure tout le continent antarctique et s'étend sur les mers froides de l'hémisphère Sud. On la divise en deux zones que sépare la convergence antarctique, frontière océanographique très nette. Au sud de cette ligne, les eaux sont froides (de -1° A + 3° 5 en été) et peu salées (du fait de la fonte des glaces et de précipitations importantes que ne compense pas l'évaporation); mais, si la salinité globale n'est que de "ordre de 33% la teneur en azote et en phosphate est élevée et l'oxygène près de la saturation.

La température des eaux s'élève bien entendu progressivement quand on va de l'Antarctide vers le nord. Mais à la limite de la convergence antarctique on observe une augmentation brusque de la température

Cette ligne marque la ligne des glaces flottantes, qui souvent s'arrête même en deçà). Au-delà de cette convergence se trouve la zone subantarctique, dont les eaux sont plus chaudes (de  5 °à 14° 5 en été), plus salées (34 à 34,5 %) et encore riches en phosphate et en azote.

Elle est aussi caractérisée par des vents d'ouest violents et constants  qui poussent les eaux vers l'est et le nord-est.

Bien que le fonds faunistique soit commun à travers les océans antarctiques, les communautés marines présentent des différences notables. Les mêmes types d'Oiseaux sont dans l'ensemble représentés de chaque côté par des espèces et des genres différents. C'est ainsi qu'au sud se rencontrent le Manchot empereur Aptenodvtes forsteri, le Manchot Adélie Pygoscelis adeliae, l'Albatros Phoebetria palpebrata, le Fulmar antarctique Fulmarus glacialoides et une série de Pétrels comme le Damier du Cap Daption capensi.s, le Pétrel des neiges Pagodroma nivea et le Prion Pachyptila desolata.

Au nord, les plus caractéristiques sont le Manchot royal Aptenodytes patagonica, le Manchot de Magellan Spheniscus magellauicus, le Manchot papou Pygoscelis papua, le Gorfou Eudyptes crestatus, plusieurs Albatros dont Diomedea melaaophrys et D. epomophora, Phoebetria fusca, des Pétrels comme le Prion Pachlptila vittata et divers Puons ( Puffinus gravis, grisous, creatopus). Les Cormorans apparaissent dans la zone subantarctique, alors qu'ils font défaut plus au sud.

Dans leur ensemble, ces zones sont riches en espèces, et les populations sont numériquement importantes, en rapport avec l'abondante nourriture disponible.

 

ZONES SUBTROPICALE ET TROPICALE. Zone subtropicale. La limite nord de la zone subantarctique est formée par la convergence subtropicale, limite beaucoup moins nette que la convergence antarctique. Au‑delà, les mers sont plus chaudes, allant de 15' S à 23° au nord, et plus salées (35 °/°° en moyenne); mais la concentration en azote et en phosphate diminue en même temps que la teneur en gaz dissous. Ces eaux, moins favorables au plancton, sont de ce fait moins riches, et les communautés qui s'y sont établies moins prospères.

Le nombre d'espèces d'Oiseaux y est nettement inférieur, de même que le nombre d'individus. Tous les Oiseaux antarctiques ont disparu; en revanche, certains Pétrels sont propres à cette zone.

Zone tropicale. Plus au nord, la température des eaux augmente encore, atteignant 29' à l'équateur, en même temps que la salinité s'accroît. La concentration en azote et en phosphate est cependant très basse. Ces mers sont de ce fait pauvres en plancton et n'abritent que des biocénoses relativement simples et très spécialisées. Les Oiseaux sont peu abondants (en dehors de circonstances particulières); et dans l'ensemble ils se concentrent sur les plateaux continentaux, évitant la haute mer. Ils comprennent une série d'espèces propres à la zone intertropicale: quelques Sternes, en particulier les Nodis (Anous) et les Sternes blanches (Gygès), les Frégates, les Phaétons, des Fous et quelques Albatros propres aux mers chaudes du Pacifique.

ZONES TEMPÉRÉE, BORÉALE ET ARCTIQUE. En remontant vers le nord, la température des eaux marines s'abaisse à nouveau en mémo temps que diminue leur salinité et qu'augmente la teneur en gaz dissous. Une biomasse consommable beaucoup plus importante permet à une avifaune plus riche de se maintenir. En fait, les Oiseaux des meus arctiques froides sont nombreux et bien diversifiés. Les groupes les plus représentatifs sont les Goélands, les Stercoraires, quelques Sternes (dont la Sterne arctique Sterna paradisea), des Cormorans et surtout les Alcidae: Macareux, Pingouins et Guillemots, en plus de quelques Pétrels et Pétrels tempête.

L'avifaune arctique représente presque aucune affinité avec son homologue antarctique. Quelques espèces ont certes une distribution bipolaire, de part et d'autre de la zone intertropicale, d'où ils sont absents. C'est le cas du Fulmar, représenté par 2 espèces, l'une arctique, Fulmarus glaciales, l'autre.antarctique, F. glacialoides, et des Fous du sous‑genre Morus, représentés dans l'Atlantique Nord par le Fou de Bassan Sula bassana et dans l'hémisphère Sud par le Fou du Cap S, capensis et par le Fou de Nouvelle‑Zélande S. serrator.

Tous les autres sont très nettement différents et appartiennent à des groupes systématiques sans parenté proche.

Ces deux ensembles faunistiques présentent cependant certaines ressemblances dues à des convergences. Des milieux relativement similaires, comportant des niches écologiques homologues, ont permis la différenciation, à partir de stocks originels distincts, de formes présentant certaines similitudes dans leur allure aussi bien que dans leurs moeurs et la glace qu'elles occupent dans les biocénoses. Ainsi les Mergules, Macareux et Pingouins de petite taille sont les équivalents des Pétrels plongeurs antarctiques, les uns ayant évolué à partir des Mouettes (ou de leurs ancêtres), les autres à partir des Pétrels.

Certains Oiseaux de la zone arctique ont une distribution circumboréale du fait que les mêmes conditions écologiques se retrouvent aux mêmes latitudes tout autour du pôle. C'est le cas de la Sterne arctique Sterna paradisea, qui niche aussi bien en Amérique qu'en Eurasie. On observe cependant des localisations plus étroites, en rapport avec la disposition des terres et des océans dans l'hémisphère Nord.

 C'est le cas des Alcidae. Relativement mal représentés dans l'Atlantique, ces Oiseaux sont remarquablement diversifiés dans le Pacifique Nord, atteignant le stade générique (Brachyramphus, Endomychura, Synthliboramphus, Ptychoranrphus, Cyclorrhjnchus, Aethia, Cerorlrinca;, en accord avec leur isolement dans cette partie des mers boréales.

 

 ZONES PARCOURUES PAR DES COURANTS. Les étendues r nes peuvent donc être divisées en un certain nombre de z plus ou moins concentriques et parallèles à l'équateur confondant avec les zones climatiques. Mais cette situa théorique subit d'importants remaniements du fait de l', tence de courants marins et de remontées d'eaux profon Les courants froids sont particulièrement importants, not ment ceux qui charrient leurs eaux de l'Antarctique à l'éc teur, entraînant de véritables bouleversements climatique océanographiques.

Telles sont en particulier les côtes pacifiques de l'Améri, du Sud baignées par le courant de Humboldt. Venu l'Antarctique, celui-ci longe, tel un fleuve puissant, Chili et le Pérou, puis, au niveau de la frontière de ce p avec l'Equateur, oblique vers l'ouest et va baigner les

Galapagos, au-delà desquelles il disparaît sous des ea superficielles plus chaudes. Ces eaux froides sont incroyat ment riches et peuplées d'animaux marins d'une telle denç que les observateurs parlent de « soupe de plancton » et « vagues noires d'organismes marins ». A partir de ces a malcules se déroulent des chaînes alimentaires prospères de les Oiseaux représentent quelques-uns des derniers maillot Très nombreux, ils comprennent, en dehors de quelques ul quistes, une forte proportion d'endémiques. Ainsi le Manch de Humboldt Spheniscus hurnboldti, le Cormoran de Bougai ville Phalacrocorax bougainvillei, le Fou varié Sula variegat la Sterne inca (Larosterna inca) et plusieurs Pétrels do: un Pétrel plongeur (Pelecanoirles garnotij. Le Cormoran c Bougainville, le Fou varié et une race particulière de Pélica brun, Pelecanus occidentales thagus,

 

 

abondants. Nichant sur des endrots déserts en colonies se chiffrant par millions d'individus (les îles Chinchas, au large du Pérou, comptent à elles seules 4 ou 5 millions de Cormorans), ces trois Oiseaux sont les producteurs du guano, engrais réputé du fait de sa teneur en azote. La production annuelle moyenne est de 250 000 tonnes au Pérou, chiffre qui indique à lui seul la richesse des biocénoses marines de ces eaux froides.

En créant une situation océanographique anormale à de basses latitudes, le courant de Humboldt permet également d'expliquer certaines distributions à première vue paradoxales et la remontée vers le nord d'espèces caractéristiques de l'Antarctique. En dehors de plusieurs Pétrels, l'exemple le plus frappant est celui des Manchots, Oiseaux propres aux eaux antarctiques froides dont les représentants spécialisés se sont établis au Pérou (Spheniscus humboldti) et même aux îles Galapagos (S, mendiculus), soit sous l'équateur et même un peu au‑delà. Du fait du mélange de courants froids et chauds dans les mers baignant ces îles, on peut ainsi voir vivant côte à côte des représentants de la faune antarctique et des Fous et Frégates propres à la zone tropicale.

Une situation analogue se retrouve dans toutes les régions où des courants et des remontées d'eaux froides ont entraîné des remaniements de la situation théorique.

 Adaptations des oiseaux au milieu marin

Pour vivre dans le milieu marin, les Oiseaux doivent présenter un certain nombre d'adaptations aussi bien morphologiques qu'écologiques. La mer leur offre des conditions atmosphériques très particulières, la seule surface où se poser agitée par les vagues, le manque d'abri et une nourriture très spécialisée, riche en sel.

Nous avons vu comment les Oiseaux s'étaient adaptés à la natation et à la plongée

Il suffira de rappeler que toutes les espèces marines ont les pattes palmées, en vue de la locomotion aquatique. Certains Oiseaux voient véritablement sous l'eau, tels les Manchots, aux membres antérieurs transformés en ailerons. Les Macareux et les Pétrels plongeurs se servent également de leurs ailes pour progresser en plongée, ce qui les empêche d'ailleurs de voler avec aisance; ü existe un conflit manifeste entre les qualités d'un organe propulseur aquatique et une aile destinée à soutenir un Oiseau au vol. Beaucoup d'autres Oiseaux ne se servent que de leurs pattes pour nager, en maintenant leurs ailes repliées contre le corps. On rappellera par ailleurs que le plumage des Oiseaux marins, comme celui des Oiseaux

 

Les conditions océanographiques  entraîne des fluctuations importantes dans les biocénoses et dans la biomasse consommable. De ce fait, les Oiseaux marins sont contraints de répondre aux fluctuations du milieu par des déplacements saisonniers. Certains se rangent parmi les Oiseaux au tempérament le plus nettement migrateur.

Ces changements d'habitat ont aussi pour effet d'éviter la déplétion d'un stock de proies déterminées en un lieu donné. Une dispersion à plus ou moins grande échelle à travers les mers conduit à une meilleure utilisation des ressources de l'ensemble du milieu marin, et pas seulement des approches des lieux auxquels les Oiseaux sont liés au moment de leur reproduction.

Les modalités des déplacements saisonniers permettent également de diviser les Oiseaux de mer en deux catégories. Les Oiseaux littoraux se dispersent plus ou moins largement en s'étendant vers la haute mer, mais ils suivent surtout les limites des eaux littorales auxquelles ils sont liés.

Les Oiseaux pélagiques se livrent en revanche à des migra­tions à bien plus grande échelle, pour certains même à l'échelle des océans, comme c'est le cas des Puffins majeurs dans l'Atlantique, des Puffins à bec grêle dans le Pacifique. Les grands Albatros tournent autour du globe à travers les océans antarctiques.

Le milieu polaire

Les régions polaires constituent un milieu particulièrement sévère, que seul un petit nombre d'animaux a réussi à coloniser, du fait même de la rigueur des conditions écologiques. Les températures sont basses, les vents violents et la lumière solaire inexistante pendant une partie de l'année. Cela explique la pauvreté des milieux terrestres, qui se réduisent souvent à des étendues de glaces. Les mers sont en revanche beaucoup plus riches, ce qui permet aux animaux qui y trouvent leur subsistance de remonter plus près des pôles que les espèces terrestres.

Les Oiseaux ont réussi à s'établir dans ce milieu et sont même les Vertébrés aériens remontant le plus près des pôles. Le Skua Catharacta skua traverse couramment le continent antarctique et a été vu au pôle Sud même. II en est de même du Pétrel de Wilson.

Il convient de rappeler les profondes différences existant entre les conditions géographiques de la région arctique et celles de l'Antarctique. La région polaire australe forme un véritable continent au relief élevé, entouré d'une ceinture complète d'océans. Ces terres disparaissent sous une épaisse chape de glaces représentant plus de 90 % de celles de la planète. En opposition complète, la région polaire arctique est constituée par un océan entouré de masses continentales presque continues; ces mers sont prises par les glaces, qui les transforment en une vaste étendue plane. Seul le Groenland forme une plate-forme terrestre comparable à l'Antarctide.

Ces glaces se prolongent, au moins pendant l'hiver, par la banquise, qui augmente considérablement la superficie du sol ferme.

Cette opposition dans les conditions géographiques a entraîné des différences profondes dans la nature des milieux. L'Antarctide est avant tout constituée par des glaces presque azoïques, au milieu desquelles n'émergent que quelques étendues rocheuses. Les communautés animales doivent être tournées entièrement vers la mer.

Au contraire, dans la région polaire arctique, de vastes étendues continentales s'étendent à des latitudes très élevées. Il peut donc exister un milieu terrestre, formé de toundras aux conditions très particulières, pratiquement absent des régions antarctiques, vu le peu d'extension des terres émergées.

II existe ainsi deux milieux polaires fondamentalement différents. L'un est marin, la terre ou les glaces ne servant que

de substrat à la nidification des Oiseaux; il est surtout répandu dans l'Antarctique, bien que non absent de l'Arctique. L'autre est terrestre, les animaux trouvant leur subsistance ailleurs que parmi les ressources marines; il est pratiquement absent de l'Antarctique.

 Le milieu polaire antarctique

Le milieu polaire marin peut être étudié avant tout dans l'Antarctique, en ~ raison du caractère particulier de cette partie du monde. L'habitat le plus intéressant se trouve le long des 32 000 km des côtes de l'Antarctide, que les Oiseaux ne quittent en pratique que rarement pour aller loin vers l'intérieur, la mer constituant leur unique source de ravitaillement. L'énorme calotte glaciaire se termine dans la mer par des falaises verticales et les fronts des glaciers.

La glace de mer se forme pendant l'hiver, parfois en été sous les hautes latitudes, et atteint 1 m à 1,50 m d'épaisseur. Elle constitue d'immenses champs emprisonnant les icebergs d'origine continentale et doublant la surface du continent antarctique pendant l'hiver. Cette banquise est remaniée par les courants marins; crevassée, elle forme par endroits un chaos inextricable. Elle comporte des fissures et des étendues limitées d'eau libre, même en plein coeur de l'hiver.

Pendant l'été, la glace de mer se disloque, et une gigantesque débâcle l'entraîne dans une dérive générale vers l'ouest et parfois vers le nord. L'eau est alors libre devant la côte, entre des icebergs et des morceaux de banquise disloquée.

Il existe ainsi un cycle annuel des glaces de mer. A une période de prise de la glace de mer, formant avec le continent un immense bloc de glace interrompu seulement çà et là par des crevasses et des trous d'eau libre, s'oppose une période de débâcle où la mer est libre, simplement parsemée de glaces flottantes. La durée relative des deux phases est variable suivant les secteurs. Ces faits sont d'une importance capitale dans la biologie des Manchots, car la glace commande les possibilités de passage entre l'air et l'eau, où ces Oiseaux trouvent leur subsistance.

Le climat régnant dans ce milieu est extrêmement rude. Il est avant tout caractérisé par de très basses températures. Sur les côtes, les maximums journaliers dépassent parfois 0en été, mais les températures sont malgré tout presque constamment négatives (en terre Adélie, les moyennes du mois le plus chaud (décembre) varient entre ‑0 a 5°et ‑20 )5). Ces conditions s'opposent ainsi au véritable été arctique.

 L'effet de ces basses températures est considérablement aggravé par les vents violents soufflant en permanence dans la région antarctique et constituant sans aucun doute le trait dominant des climats de cette région. Des vents atteignant 180 km/h ont été signalés; leur moyenne s'établit souvent entre 60 et 80 km/h. Par ailleurs, ils transportent des particules arrondies de glace constituant le blizzard. Avec un vent de 126 km/h, on a mesuré que 10 tonnes de glace sont transportées en 1 heure au-dessus de 1 m de longueur au sol; jusqu'à 2,6 tonnes de glace passent en 1 heure à travers une surface de 1 m= perpendiculaire au vent.

Le pouvoir de refroidissement de cette ambiance est considérable. Si dans les régions tempérées la température est le facteur principal du climat, dans les milieux polaires c'est au contraire le vent. Par une température de -20° à 130 km/h, le blizzard multiplie par deux le pouvoir de refroidissement du vent.

Du point de vue thermique, ce vent chargé de glace équivaut à une ambiance calme de -180° C. Or, en certains points de la côte antarctique le blizzard souille pendant 300 jours par an. Ces milieux polaires offrent ainsi aux Oiseaux les pires conditions thermiques que l'on puisse imaginer (Sapin-Jaloustre).

En raison de ces circonstances, les habitats terrestres de l'Antarctide sont d'une pauvreté extrême. L'inlandsis formant la gigantesque calotte de glace antarctique est un désert pratiquement azoïque. En revanche, la mer est d'une singulière richesse, en raison de ses basses températures et de sa faible salinité globale. A partir d'un plancton abondant se développent des chaînes alimentaires complexes. Parmi les animaux planctoniques figurent en particulier les Crustacés Euphausiidae (« Krill »), véritable pierre angulaire du milieu marin antarctique. Les Poissons sont abondants et ne comptent pas moins de 60 espèces adaptées aux eaux froides. La biomasse consommable est énorme, avec une productivité considérable, limitée non par la quantité de substances nutritives, mais par la lumière déficitaire pendant une longue période annuelle (photosynthèse ralentie).

De ce fait, les Oiseaux ayant peuplé ces milieux, tout comme les Mammifères, sont exclusivement marins et occupent les sommets de chaînes alimentaires océaniques. Ils n'utilisent les terres et les glaces que pour nicher. En plus de différenciations semblables à celles de tous les Oiseaux de mer, ils doivent être strictement adaptés au climat ambiant, au très haut pouvoir de refroidissement et au rythme climatique annuel, marqué essentiellement par l'extension et la régression de la banquise entourant l'Antarctique.

 
2° Les avifaunes polaires antarctiques

Les Oiseaux qui ont réussi la colonisation du milieu polaire antarctique sont très peu nombreux, du fait de la rigueur du climat. Une quarantaine d'espèces seulement nichent au sud de la convergence antarctique, et beaucoup moins sur le continent lui-même. Cette avifaune comprend une très forte proportion d'éléments endémiques, caractère retrouvé chez la plupart des groupes zoologiques en rapport avec les conditions écologiques particulières du milieu, mais aussi avec l'isolement ancien de cette partie du monde.

Les éléments les plus caractéristiques sont les Manchots. Parmi les 17 espèces, toutes à répartition australe, 4 seulement peuvent être considérées comme véritablement polaires. Deux d'entre elles ne sont pas rigoureusement propres au milieu antarctique: le Manchot à jugulaire Pygoscelis antarctica, surtout cantonné au secteur américain mais tendant actuellement à devenir circumpolaire, et le Manchot papou P. papua étendent en effet leur répartition au-delà dé la convergence antarctique, le dernier nichant notamment à Crozet et à Macquarie. Le Manchot Adélie P. adeliae est le plus répandu et abonde tout au long de l'Antarctide; le Manchot empereur Aptenodytes forsteri est le plus polaire de tous et sans conteste le mieux adapté de tous les Oiseaux à ce milieu.

Un autre groupe dominant est celui des
Procellariiformes. Seize espèces sont connues de cette région, mais seules 7 nichent sur le continent antarctique. Les plus caractéristiques sont le Pétrel géant Macronectes giganteus, le Pétrel des neiges Pagodroma nivea, le Pétrel antarctique Thalassoica antarctica, le Damier du Cap Daption capensis, le Fulmar antarctique Fulmarus glacialoides et le Pétrel de Wilson Oceanites oceanicus. Par ailleurs, d'autres espèces, et notamment des Albatros fuligineux, fréquentent le pack-ice d'une manière régulière. Le Skua Catharacta skua est lui aussi caractéristique de l'Antarctique. La Sterne arctique Sterna paradisea venue en hivernage se rencontre jusqu'en bordure de la glace de mer.

3° La lutte contre le froid: recherche des milieux les plus favorables

Les Oiseaux antarctiques, et plus particulièrement les Manchots, vivent dans un milieu où les températures sont presque toujours négatives, pêchent dans des eaux voisines de 0° ou même en dessous et se tiennent ainsi toujours dans des milieux à pouvoir de refroidissement très élevé.
 

Le séjour à la côte du Manchot empereur ne dure pas

 En terre Adélie, les premiers Manchots arrivent au mois de mars, au moment où l'emplacement futur de la colonie se couvre de glace de mer; d'abord isolément, puis par groupes de plus en plus impor­tants comptant jusqu'à 500 individus qui avancent en pro­cession. L'arrivée s'échelonne sur tout un mois. Les Man­chots sont alors remarquablement gras, un mâle pouvant avoir plus d'une dizaine de kilos de réserves lipidiques. La recherche du partenaire et la pariade interviennent ensuite et se prolongent jusqu'en mai. Les partenaires d'un même couple demeurent ensemble jusqu'à la ponte, qui se pour­suit jusqu'au début juin. La femelle recueille l'unique neuf sur ses pattes et le place dans une sorte de poche incubatrice que fait un repli de son ventre. Aucun nid n'est en effet construit. nul matériau de nidification n'étant d'ailleurs dis­ponible. Les deux partenaires se livrent alors à une sorte de parade, au cours de laquelle la femelle passe l'oeuf au mâle, qui le recueille à son tour dans sa poche incubatrice. La femelle part immédiatement pour la mer, ce qui empêche toute ponte de remplacement en cas de perte de l'oeuf. A ce stade, les Oiseaux n'ont pris aucune nourriture depuis 45 à 50 jours, et les femelles seraient sans doute incapables d'élaborer un autre sauf d'une telle taille (117 à 132 mm X 80 à 90 mm en moyenne; le poids moyen est de 447 g, mais peut atteindre 550 g). Elles ont perdu 5 à 10 kilos depuis leur arrivée à la colonie, soit de 17 à 30% de leur poids initial. Les mâles assurent seuls l'incubation de l'oeuf, qu'ifs tiennent précieusement sur leurs pattes pour l'isoler du substrat glacé et qu'ils recouvrent de leur repli ventral, formant une véritable couveuse artificielle. Ils se déplacent avec peine, du fait du fardeau qui encombre leurs pieds, mais se mettent en tortue dès que le temps s'aggrave. Les mâles ne prennent pas de nourriture pendant toute la durée d'incubation, qui est de 62 à 66 jours, se contentant de manger de la neige pour faire face à leurs besoins en eau. La colonie est alors calme et les Oiseaux très passifs, leur long jeûne les obligeant à une vie ralentie.

Les femelles reviennent de 60 à 70 jours après être parties se nourrir en mer libre, soit après le 20 juin environ. Elles recherchent leur partenaire en cheminant à travers la colonie et le reconnaissent vraisemblablement à des critères acous­tiques en émettant un « chant » auquel le mâle répond. Dès qu'elle l'a retrouvé, les deux conjoints se livrent à une parade mutuelle, et elle prend sur ses pattes l'oeuf ou le poussin éclos.

Les mâles sont alors épuisés par un jeûne qui a duré 3 mois et parfois beaucoup plus. Leur perte de poids est de 12 à 15 kilos et peut même, dans certains cas, atteindre 50 % du poids initial. Ils partent alors vers la mer pour se ravitailler.

Les poussins éclosent début juillet. Leur élevage comprend deux phases bien distinctes. Au cours de la première, le poussin reste abrité dans la poche incubatrice de ses parents, surtout de la femelle, pendant 40 à 50 jours. Il finit par ne plus pouvoir tenir dans cette poche, du fait de sa taille, et cette protection lui est de moins en moins nécessaire à mesure que s'établit sa thermorégulation. L'adulte reconnaît son poussin à la voix ainsi qu'à la vue et ne s'occupe que de son propre enfant

Le milieu polaire des mers arctiques

Le milieu marin arctique n'est pas sans analogie avec ce que nous avons vu dans l'Antarctique. Pendant l'hiver, les mers sont prises par les glaces, qui transforment l'océan Glacial arctique en une vaste étendue blanche qui se disloque au printemps. Toutefois, le climat des zones polaires marines est moins froid que celui de l'Antarctide, par suite de la chaleur accumulée par les eaux pendant l'été (les terres arctiques jouissent au contraire d'un climat hivernal beaucoup plus rigoureux). Les conditions du milieu n'en sont pas moins rudes pour les animaux.

Les animaux de cette zone tirent bien entendu leur subsistance des ressources marines. Les Oiseaux appartiennent tous à des groupes systématiques très nettement distincts de leurs homologues antarctiques, à quelques rares exceptions près (le Skua Carlraracta skua et les Fulmars Fulmarus ont une répartition bipolaire).

Le nombre des espèces marines est peu élevé, du fait même de la rigueur du climat. On soulignera que ces espèces comprennent pour beaucoup d'énormes effectifs et qu'elles sont essentiellement grégaires, formant de grandes colonies (en relation avec la rareté des sites de nidification favorables et l'abondance de la nourriture à leur voisinage). Les groupes dominants sont avant tout les Alcidae, représentés par plusieurs espèces de Guillemots (Uria, Cepphus), par les Pingouins (Alca), les Mergules (Plautus) et par les Macareux, dont nous avons déjà évoqué la remarquable diversification dans le Pacifique Nord.

Un groupe dominant est celui des Laridae. Si les Sterninae ne sont représentés que par la Sterne arctique Sterna paradisea, les Larinae sont bien différenciés et comprennent plusieurs espèces propres au monde arctique : Goéland bourgmestre Larus hyperboreus, Mouette de Sabine Larus sabine, Goéland sénateur Pagophila eburnea. La Mouette tridactyle Larus tridactyla appartient de même au monde arctique, bien que nichant dans des zones plus méridionales, ainsi que le Goéland marin Larus marinus, qui se reproduit notamment sur la côte occidentale du Groenland jusqu'au soixante-treizième degré de latitude nord. Les Procellariformes sont beaucoup moins bien diversifiés que dans l'Antarctique et ne sont représentés dans la région polaire que par le Fulmar Fulmarus glaciales, aux populations très nombreuses, toutefois.

Certains de ceux qui fréquentent les glaces flottantes et nichent au voisinage des neiges présentent une remarquable homochromie du plumage, dont la dépigmentation est très avancée, notamment le Goéland sénateur
les Guillemots et les Pingouins, qui en font leur régime quasi exclusif (jusqu'à 95 % pour le Guillemot de Brunswick), mais aussi par les Mouettes tridactyles, la Sterne arctique et la plupart des Goélands. Les Mollusques sont mangés par le Guillemot à miroir (jusqu'à 20 / du régime), le Goéland bourgmestre et la Sterne arctique. Les espèces littorales forment la base de la nourriture de l'Eider, tandis qu'une forte proportion d'espèces pélagiques est prélevée par les Fulmars. Les Crustacés pélagiques sont les proies favorites du Mergule et entrent pour une proportion notable dans le régime du Fulmar, de la Sterne et du Guillemot à miroir (jusqu'à 20 %). Les espèces littorales sont prélevées par l'Eider et le Goéland bourgmestre (jusqu'à 29 %).

Les Annélides n'interviennent que peu dans les régimes, bien que tous Oiseaux en prélèvent à l'occasion (surtout les Macareux

Notons que le monde arctique comporte comme prédateurs d'oeufs et de jeunes Oiseaux le Skua et le Goéland bourgmestre

Les Oiseaux arctiques sont dans leur très grande majorité migrateurs et évacuent entièrement la partie nord de leur aire de distribution dès la venue de l'hiver. Ils se dispersent, vers le sud et deviennent tous plus ou moins pélagiques. Sterne arctique va hiverner en bordure des glaces antarctiques

Les sites de nidification sont choisis de manière à o le maximum d'abri à 1a nichée, compte tenu des besoins thermiques des différentes espèces. Les falaises découpées d'étroites corniches constituent les biotopes d'élection nombreux Oiseaux, en particulier des Guillemots, chacun choisissant un habitat particulier. Le Mergule niche niche dans des crevasses et des fissures, tout comme le Guillemot

 Le Pingouin niche principalement sous des blocs rocheux dans des anfractuosités. D'autres Guillemots nichent contraire à l'air libre, ne recherchant pas un abri contre le  froid, auquel ils ne paraissent pas sensibles, probablement du fait même de leur taille. Les Macareux nichent dans véritables terriers creusés dans 1e sol à l'aide de leur solide fonctionnant comme une pioche, atteignant une fondeur de 2 ou 3 mètres, parfois plus. Ces terriers permettent de bénéficier d'un microclimat favorable, d'autant plus qu'ils sont généralement excavées dans des sites bien ensoleillés, exposés au sud.

La sensibilité des Oiseaux arctiques au refroidissement manifeste également par la quantité de matériaux de fixation que ceux-ci accumulent. Certains, peu exigeant sont capables de maintenir leur température interne et celle de leurs jeunes sans matelas protecteur, déposent leurs oeufs la roche nue. C'est le cas des Guillemots, qui ont perd comportement de nidification. Les Sternes déposent neufs dans une simple petite dépression du sol. D'autres contraire, disposent des matériaux de manière pour un véritable nid fait d'herbes, de Mousses et d'Algues construction la plus élaborée est celle de l'Eider,  nid, fait de brindilles, est entièrement tapissé intérieurement d'une épaisse couche de duvet; disposé sur le sol caché par de la végétation basse qui le protège du vent

Beaucoup d'espèces ont une croissance accélérée, que le jour continu permet aux adultes une très période d'activité journalière. Cela constitue un incontestable avantage en permettant aux Oiseaux de bénéficier au minimum de la courte saison favorable de l'Arctique tout  comme leurs congénères propres à la toundra.

 

 Les milieux polaires terrestres

Les habitats terrestres sont quasiment inexistants dans l'Antarctique, du fait de 1a superficie très réduite des terres émergées aux hautes latitudes (l'Antarctide est entièrement couverte de glace). Ils sont d'une très grande pauvreté, ce qui fait qu'aucune communauté d'Oiseaux terrestres n'a pu à proprement parler se différencier dans la région polaire australe.

Les régions polaires arctiques comportent en revanche des terres émergées de très vaste superficie. Entre les côtes de l'océan Glacial et les forêts boréales (taïga), des étendues considérables de toundra forment un milieu très particulier aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau-Monde.

Cet habitat polaire terrestre est doté d'un climat très rude. L'hiver y est très sévère, du fait des basses températures, constamment négatives, et des abondantes chutes de neige, qui rendent en pratique toute source d'aliments inaccessible. Toutefois, le climat est caractérisé par l'alternance d'une saison défavorable très longue et d'une saison beaucoup plus favorable, bien que courte. II existe un véritable été dans la toundra, les températures moyennes et maximales pouvant y être relativement élevées. Ainsi en Sibérie, à Verkhoïansk, par 67° 35' de latitude nord, localité considérée pendant longtemps comme le " pôle du froid ", la température moyenne annuelle est de -17°, avec des minimums de l'ordre de -60°; mais les maximums estivaux atteignent +I 5°.

En dépit de sa brièveté (souvent moins de 3 mois sans gel ), cet été arctique permet à une végétation assez abondante de s'épanouir. De très nombreux Lichens, des Mousses, des Graminées et diverses autres plantes herbacées forment un tapis dense et multicolore. Les espèces arborescentes en sont absentes, principalement en raison de la pauvreté des terres et du fait que le dégel estival n'affecte que la couche la plus superficielle du sol. La toundra ne comporte aucun arbre. Seuls quelques arbustes y prospèrent dans les parties les mieux abritées.

Ce milieu a permis à une avifaune terrestre arctique de se différencier. Les Oiseaux vivent en majorité aux dépens des ressources des eaux douces. Les marécages, les tourbières et les étendues d'eau, aux conditions écologiques assez bien diversifiées, offrent en effet les quantités d'aliments les plus considérables. Leur productivité est nettement supérieure à celle des habitats terrestres, pauvres en aliments consommables par les Oiseaux. Les groupes dominants sont de ce fait les Charadriiformes et les Anatidae. Bécasseaux, Chevaliers, Pluviers et Barges abondent et se répartissent

 Les Oies, les Bernaches et les Cygnes sont nombreux dans les toundras, qui constituent leur habitat de nidification préféré. Les Plongeons (Gavia) sont également typiquement arctiques.

Bien que moins nombreux, les Oiseaux vivant aux dépens des ressources terrestres forment des communautés assez prospères. Bergeronnettes, Pipits, Alouettes hausse‑col Eremophila alpestris, Traquets motteux Oenanthe oenanthe, Gorges‑bleues Luscinia srecica, Grives, Pouillots (dont des espèces spécialisées comme le Pouillot boréal Phylloscopus borealis), Bruants, parmi lesquels le Bruant lapon Calcarius lapponicus et le Bruant des neiges Plectroplrenax nivalis et plusieurs Linottes et Sizerins (Canduelis) exploitent les végétaux et les Insectes. On remarquera que ces Arthropodes jouent un rôle considérable dans l'écosystème terrestrepolaire. C'est notamment à leurs dépens que vivent la plupart des Limicoles au cours de la reproduction, même ceux qui se convertiront en mangeurs de Crustacés et de Mollusques au cours de leurs migrations ou de l'hivernage (les Diptères (Chironomidés et Tipulidés) et leurs larves sont particulièrement importants en tant que ressources alimentaires).

Les Oiseaux végétariens sont représentés avant tout par les Lagopèdes (Lagopus), important groupe de Gallinacés propres à l'Arctique (sauf certaines espèces montagnardes). Enfin, divers Rapaces vivent aux dépens de ces Oiseaux ou des Mammifères arctiques (les Rongeurs, surtout les Lemmings propres à la toundra, constituent une ressource alimentaire très importante). Buses, Faucons (Gerfaut Falco rusticola) et Chouettes (Harfang des neiges Nyctea scandiaca) ont pénétré largement le monde arctique.

On remarquera que ces Oiseaux se répartissent en deux groupes distincts. Les uns sont strictement propres au milieu arctique; les autres sont au contraire des ubiquistes dont la souplesse écologique s'accommode des conditions de la

toundra. On peut ainsi voir vivre côte à côte des Oiseaux hautement spécialisés comme les Bruants arctiques, le Harfang et le Gerfaut, et des ubiquistes comme le Traquet motteux. Dans un district de Laponie suédoise, l'espèce dominante était le Pipit farlouse Anthus pratensis, à très vaste distribution en Europe tempérée, formant plus de 50 j de la population totale (Alm et coll., 1966). Il convient de signaler que cette avifaune est malgré tout peu diversifiée, du fait de la rigueur des conditions du milieu.

Le milieu terrestre arctique est caractérisé, nous l'avons vu, par l'alternance d'une longue saison rigoureuse et d'une courte saison favorable. De ce fait, les conditions physiques et biotiques du milieu décrivent des fluctuations d'amplitude considérable. La biomasse consommable, aussi bien les végétaux que les Invertébrés aquatiques ou aériens, varie dans d'énormes proportions. A un pic relativement élevé, mais de faible durée, succède un minimum extrêmement bas, voire nul. De plus, 1a nourriture subsistant pendant l'hiver est inaccessible à la plupart des Oiseaux, du fait de la neige et du gel des étendues d'eau. Aussi les Oiseaux ont‑ils dû s'adapter à ces conditions en concentrant au maximum leur période de reproduction. Les différentes phases de la reproduction sont accélérées, et leur chronologie est telle que l'élevage des jeunes se place à la période la plus favorable, quand la biomasse consommable est à son apogée. C'est ainsi que beaucoup d'Oiseaux arctiques arrivent sur leurs terrains de reproduction déjà appariés et les femelles fécondées. Leur arrivée suit de peu la fonte des neiges, selon ses fluctuations d'année en année. La nidification commence immédiatement. Cette chronologie a notamment été observée dans le cas de l'Oie de Ross Anser rossi dans le nord du Canada (Ryder, 1967). Le succès des nichées est très variable en fonction des conditions météorologiques (Bengtson, 1963).

Ce raccourcissement de la période de reproduction est sans doute en relation avec le jour continu qui règne pendant l'été à ces latitudes élevées (Karplus, 1952). Les Passereaux manifestent un rythme nycthéméral particulier, la période d'activité étant considérablement prolongée par rapport à celle de leurs homologues nichant à des latitudes plus basses où la nuit vient interrompre leurs activités. Cette activité prolongée leur permet de bien plus fréquents nourrissages pendant un cycle de 24 heures, ce qui provoque une croissance accélérée des jeunes et un envol plus précoce. La durée de séjour au nid des jeunes d'un couple de Merles migrateurs Turdus migratorius n'est que de 9 jours en Alaska, par 69° 23' de latitude nord, alors qu'elle est en moyenne de 13,2 jours dans la zone tempérée. Pendant cette période raccourcie, le nombre de nourrissages est du même ordre degrandeur que dans le cas des nicheurs plus méridionaux, du fait de l'augmentation de la période d'activité journalière.

La durée d'éclairement journalier permet également à un couple d'élever un plus grand nombre de jeunes. Les pontes sont de ce fait plus importantes dans la zone arctique (voir chap. XII du volume La Vie des Oiseaux, tome II). En revanche, beaucoup d'Oiseaux n'y élèvent qu'une nichée par an, en raison de la brièveté de la période favorable. Il y a ainsi une incontestable adaptation des Oiseaux au milieu, de manière à permettre l'utilisation des ressources de ces régions très particulières sure plan écologique.

Les énormes fluctuations de la biomasse consommable et le fait que la nourriture n'est pas disponible pendant une panic de l'année font que, dans leur quasi-totalité, les Oiseaux terrestres arctiques sont de grands migrateurs qui évacuent totalement leur aire de nidification pendant l'hiver. C'est le cas des Canards et des Limicoles, qui se rangent parmi les migrateurs les plus confirmés.

Il convient cependant de remarquer que quelques Oiseaux sont sédentaires pendant l'hiver. En particulier les Harfangs et quelques autres prédateurs qui ne sont que partiellement erratiques (sauf circonstances exceptionnelles), les Mammifères actifs pendant l'hiver leur assurant un ravitaillement suffisant. Les Lagopèdes sont encore plus sédentaires, car ils ne quittent que les régions les plus élevées et peuvent hiverner jusqu'au soixante-quinzième degré de latitude nord. Ils sont bien protégés contre le froid par un très épais revêtement de plumes devenant blanc en hiver et présentant de ce fait une coloration cryptique très poussée. Par ailleurs, ils se nourrissent principalement de bourgeons et de rameaux de Saules nains, qui entrent jusqu'à 94 %. dans leur régime alimentaire pendant l'hiver (West et Meng, 1966). Ces aliments d'une grande valeur calorique et disponibles pendant la mauvaise saison leur permettent d'être sédentaires dans la majeure partie de leur habitat. Les Lagopèdes se réfugient dans des logettes creusées sous la neige et se déplacent même dans de véritables galeries menant aux végétaux dont ils se nourrissent. Ils bénéficient ainsi d'un microclimat nettement plus favorable que le milieu ambiant. Ils recherchent également les terrains élevés dépourvus de neige, où ils se rassemblent souvent en troupes qui ne se dispersent qu'au printemps.

Par ailleurs, il convient de rappeler les fluctuations de grande amplitude chie décrivent les effectifs de certains Oiseaux arctiques, tout comme les Mammifères du même biome. Ces fluctuations ont le plus souvent un caractère cyclique encore mal expliqué. L'amplitude des variations de densité est en rapport avec la simplification des biocénoses terrestres arctiques