Les populations d'oiseaux dans une grave tourmente
traduit de World Watch
Par Howard Youth, ancien associé de World Watch, auteur régulier d'articles sur la préservation de la vie sauvage
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Plus d'un millier d'espèces d'oiseaux sont menacées aujourd'hui d'extinction. De nombreuses autres sont entrées dans une phase de déclin régulier. Il est frappant de constater que les stratégies à même d'arrêter cette érosion sont les mêmes que celles qui permettraient la réalisation d'un avenir viable pour l'humanité.

D'une vie sauvage autrefois florissante et diversifiée en Europe, il reste aujourd'hui bien peu de choses. Les ours et les bisons y ont disparu depuis longtemps, de même que les loups, malgré un récent et timide retour. Les quelques fragments de vie sauvage qui ont résisté à la civilisation ont ainsi acquis une valeur accrue. Parmi ces sites, très peu peuvent être comparés au Parc national Doñana en Espagne qui s'étend sur la côte méditerranéenne, à quelques encablures de l'Afrique, et abrite des animaux des deux continents - et une variété extraordinaire d'oiseaux. Ces 50.00 hectares de marais, de dunes, de broussailles et de forêts représentent pour l'aigle impérial espagnol (Aquila adalberti, une espèce menacée) l'un de ses principaux foyers de reproduction, et pour des centaines de milliers d'oiseaux aquatiques un lieu d'hivernage indispensable.

Et pourtant, Doñana est un paradis en péril. L'envasement en amont des rivières et la demande en eau d'irrigation des fermes entourant le parc assèchent les marais plus tôt dans l'année qu'au cours des décennies passées. Les oiseaux aquatiques qui y pondent, comme le canard marbré (Marmaronetta angustirostris), autrefois abondant, se retrouvent sans ressources. Coupés des espaces aquatiques, ces derniers ont du mal à trouver de la nourriture, à échapper aux renards et autres prédateurs. Introduits avant que le site ne soit déclaré parc national en 1969, les eucalyptus y ont prospéré rapidement et ont étouffé la végétation indigène. Puis en 1998, le réservoir d'une mine de zinc au nord du parc se fissura et déversa 5 millions de mètres cubes d'eau avec un haut taux d'acidité dans la rivière - de l'eau contenant du cadmium, du plomb, du cuivre, et d'autres métaux lourds. Ce déversement couvrit près de 10'000 hectares d'une boue toxique, envahissant les pourtours du parc, tuant des milliers de poissons et d'oiseaux et contaminant une grande partie des survivants à des taux qui amoindrirent considérablement leur capacité de reproduction.

Les menaces qui pèsent sur les oiseaux de Doñana illustrent bien la diversité des pressions que doivent endurer les populations d'oiseaux dans le monde, qui sont ainsi menacées malgré leur capacité de voler d'un endroit à l'autre. De l'autruche africaine haute de 3 mètres à l'oiseau-mouche cubain qui ne dépasse pas les 6 centimètres, plus de 9'800 espèces peuplent la planète. Ils rendent naturellement des "services essentiels" sans lesquels notre propre existence serait gravement compromise. Les oiseaux participent à la pollinisation des cultures, diffusent les graines, contrôlent les insectes et les rongeurs, et éliminent la charogne. Qui n'a pas été profondément inspiré par leurs couleurs, leurs chants, leur vol et leur comportement ? Encore faut-il s'intéresser un peu à eux… Car pour des millions d'entre nous, la conscience que nous avons de leur existence reste marginale. C'est une des raisons pour lesquelles de nombreuses espèces risquent de disparaître dans les prochaines décennies.


Un déclin sans précédent

A l'instar des dangers qui menacent la faune de Doñana, les raisons du déclin mondial des espèces d'oiseaux sont multiples, mais pour l'essentiel liées aux activités humaines. Même lorsqu'une espèce est mise en danger par une menace unique, y remédier est difficile ; mais lorsque les dangers viennent de plusieurs directions, la difficulté croît de façon exponentielle. L'autruche, par exemple (Struthio camlus), est décimée à la fois par la chasse et par la disparition de son habitat, particulièrement dans le nord et l'ouest de son territoire africain, vaste mais victime d'une fragmentation croissante. L'autruche, le plus gros oiseau du monde, couve également les œufs les plus gros. Mais sa taille, pas plus que celle de ses énormes œufs, ne la protège pas des chasseurs humains. "Elles sont touchées de deux manières. Les adultes sont tués et les œufs sont volés", affirme Steve Monfort, de l'Institut Smithsonian. En 2001, Monfort participa à un recensement de la faune au Tchad, et n'y trouva plus aucune autruche - rien que des fragments de coquilles d'œufs fracassés plusieurs années auparavant. Et dans les plupart des régions d'Afrique où des populations décimées d'autruches subsistent encore malgré les chasseurs, les prairies dont elles dépendent, car elles leur offrent l'alimentation diversifiée qui leur convient, composée de feuilles, de graines, de racines et d'insectes, sont appauvries par le sur-pâturage des animaux d'élevage.

A quelques variantes près, on retrouve cette histoire sur tous les continents, y compris en Antarctique. En Amérique du Nord, l'utilisation massive de prairies sauvages pour la monoculture et pour le pacage a mené à l'extinction deux espèces de poulets des prairies (Tympanuchus phasianellus et Tympanuchus pallidicintus). En Eurasie, la grande outarde (Otis tarda) ainsi que trois autres espèces d'outardes sont entrées dans une phase de déclin rapide - déclin à nouveau dû à ce que l'écologiste Paul Goriup appelle "la faible attention accordée à la conservation et à l'utilisation viable des pâturages, des steppes et des prairies dans le monde." En France et en Espagne, les populations du ganga cata (Pterocles alchata) sont en chute libre pour les mêmes raisons. Comme la population humaine croît (elle est passée de 1,6 milliard à 6 milliards d'individus en moins d'un siècle), l'humanisation forcée de la Terre se traduit par la déforestation, le drainage, le bitumage et l'altération chimique des terres. Toute cela pour faire de la place à l'Homo Sapiens ! C'est hélas un fait bien établi que plus une terre est occupée par l'homme et plus sa biologie devient instable et globalement pauvre.

Depuis deux siècles, 103 espèces d'oiseaux ont disparu. Parmi celles qu'on ne reverra jamais figurent le hibou rieur de Nouvelle-Zélande (Sceloglaux albifacies), l'ara cubain (Ara tricolor), et le pigeon migrateur d'Amérique du Nord (Ectopistes migratorius), jadis si formidablement abondant. Selon le groupe conservationiste BirdLife International, qui a publié en l'an 2000 une étude détaillée sur le sujet intitulée Les oiseaux menacés de la planète (Threatened Birds of the World), 1'186 espèces d'oiseaux seraient menacées de disparition d'ici un siècle. Un nombre beaucoup plus important d'espèces, estimé à 6'000, sont déjà déclinantes. En Grande-Bretagne, par exemple, 139 des 247 espèces qui s'y reproduisent connaissent un déclin modéré à rapide selon des études annuelles. Des ornithologues australiens estiment qu'une espèce sur cinq est menacée de disparaître dans un proche avenir sur ce pays-continent.

Plusieurs biologistes estiment que la disparition d'une espèce n'est que la dernière étape de son déclin, et qu'elle ne se produit que bien après qu'une espèce a cessé de fonctionner comme un élément de son écosystème. Lorsqu'une population locale meurt, les populations restantes deviennent isolées et leur diversité génétique s'en trouve appauvrie. Nigel Collar, un ornithologue qui supervise la diversité mondiale des oiseaux pour BirdLife International, affirme que "la diversité aviaire connaît un déclin important. Non seulement de plus en plus d'espèces sont menacées de disparition, mais un nombre inconnu de sous-espèces et de populations disparaissent. Des espèces que l'on retrouvait sur de grands territoires se retrouvent aujourd'hui en discontinuité dans des poches isolées, ce qui permet de moins en moins les échanges génétiques. Parfois, alors qu'on croit perdre seulement une population isolée, c'est potentiellement la diversité génétique de toute une espèce qui disparaît."

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