. Archaeopteryx,

Les poumons des oiseaux se prolongent par des sacs aériens qui gonflent dans le corps, occupant le maximum d'espace de la façon la plus légère possible. La lourde queue d'Archaeopteryx, prolongement de sa colonne vertébrale, a été remplacée par des plumes rectrices à fort calamus n'ayant pas besoin de support osseux. Sa mâchoire pesante et dentée, lourd handicap pour toute créature s'essayant à voler en raison du déséquilibre qu'elle provoquait, a disparu, au profit d'une très légère formation kératinisée, le bec.

Un bec, même très aiguisé, ne peut mâcher et la plupart des oiseaux doivent fragmenter leur nourriture. Cette fragmentation s'effectue dans un compartiment musclé de leur estomac, le gésier. Celui‑ci est situé au centre de leur corps, entre les ailes, de façon à gêner le moins possible l'équilibre pendant le vol. Le bec ne sert donc qu'à saisir les aliments.

La kératine du bec des oiseaux, comme celle des écailles des reptiles, paraît très sensible aux exigences de l'évolution. Les drépanis des Hawaii montrent combien rapidement un bec peut changer pour s'adapter au régime alimentaire de son propriétaire. Les ancêtres de ces oiseaux avaient sans doute la taille d'un moineau et leur bec était court et droit. Ils vivaient sur le continent américain. Il y a quelques milliers d'années, une volée dut être entraînée vers la mer par la tempête et atteindre Hawaii où elle trouva des forêts luxuriantes encore vides de créatures ailées car les îles, volcaniques, étaient de formation récente. Pour pouvoir exploiter les diverses sortes de nourriture qu'ils trouvaient, les drépanis évoluèrent rapidement et différentes espèces se formèrent, choisissant chacune un aliment particulier et acquérant une forme de bec adaptée à celui‑ci, leurs mandibules devenant courtes et épaisses pour picorer les graines ou longues et crochues pour déchiqueter les charognes. Une espèce possède un long bec recourbé pour aspirer le nectar dans la corolle des lobélies, une autre a la mandibule supérieure deux fois plus développée que l'inférieure : l'oiseau s'en sert pour marteler les écorces et les soulever à la recherche des petites espèces de charançons. Une autre a des mandibules croisées qui lui permettent d'extraire les insectes des bourgeons.

Darwin avait noté de semblables variations dans les becs des pinsons, aux Galapagos et il les regardait comme une preuve convaincante de sa théorie de la sélection naturelle. II n'eut jamais l'occasion d'aller à Hawaï. L'eût‑il fait, qu'il eût certainement considéré les drépanis comme de meilleurs exemples encore que les pinsons.

L'évolution des becs se poursuit depuis si longtemps qu'elle a abouti chez certains oiseaux à des formes extrêmes. Le colibri porte‑épée possède un bec 4 fois plus long que son corps avec lequel il suce le nectar des fleurs des Andes. Le bec de l'ara est un casse‑noix crochu d'une telle puissance qu'il brise la noix la plus dure, la noix du Brésil. Le pic se sert de son bec comme d'une dague pour déloger les coléoptères perce‑bois. Le long bec coudé des flamants possède des cannelures qui lui permettent d'aspirer l'eau et de récolter les petits crustacés. Le bec‑en ciseau a la mandibule inférieure deux fois plus longue que la supérieure. II vole au‑dessus des cours d'eau en rasant la surface et avec sa mandibule inférieure

 

Les oiseaux étranges sont innombrables et ils illustrent bien la malléabilité des becs.

La plupart des aliments des oiseaux, poissons, amandes de noyaux, nectar, larves d'insectes, fruits sucrés, sont riches en calories. Les oiseaux en sont friands parce que le vol exige beaucoup d'énergie. Pour éviter de dépenser cette énergie en chaleur, il leur faut une bonne isolation thermique, aussi leurs plumes sont­ elles essentielles, non seulement pour leur pouvoir portant, mais aussi pour l'éco­nomie d'énergie qu'elles permettent.

Les plumes sont de meilleurs isolants que la fourrure. Un oiseau, le manchot, peut même vivre en hiver sur la glace de mer et la côte antarctiques, l'endroit le plus froid du monde. Les plumes du manchot ne servent qu'à conserver la cha­leur. Elles sont filamenteuses et emprisonnent autour du corps de l'oiseau un épais matelas d'air. Celui‑ci, complété par une couche de graisse sous‑cutanée, permet aux manchots de résister au blizzard par des températures de 40°C au­dessous de zéro et de survivre pendant des semaines, même sans manger. Et lorsque l'homme va dans ces régions, il utilise, pour conserver sa chaleur, le duvet d'une oie arctique, l'eider.

Les plumes sont si précieuses pour l'oiseau qu'il mue régulièrement pour les remplacer, bien souvent plusieurs fois par an. II les soigne constamment et les entretient. Il les lave dans l'eau, les ébouriffe dans la poussière, les remet en place lorsqu'elles sont dérangées. II peigne avec soin celles qui sont désordonnées ou celles dont les vexilles ont perdu leur tenue. En passant entre les mandibules, les barbules sont de nouveau pressées l'une contre l'autre et s'engrènent comme les dents d'une fermeture à glissière pour reformer une surface lisse et continue.

La plupart des oiseaux possèdent près de la base de la queue une glande à sécrétion huileuse. L'oiseau prend avec le bec un peu de sébum et en oint ses plumes une à une de façon à les assouplir et les imperméabiliser. Quelques oiseaux, parmi lesquels les hérons, les perroquets et les toucans, n'ont pas de glande uropygienne et poudrent leurs plumes avec une fine poussière, le duvet poudreux, produit par la desquamation continuelle de l'extrémité de plumes spé­ciales. Celles‑ci sont soit cantonnées dans des zones particulières, soit disséminées dans tout le plumage, Au contraire, les plumes des cormorans et de leurs appa­rentés, les anhingas, se mouillent et cela bien que ces oiseaux passent la majeure partie de leur temps dans l'eau, à chasser. Mouillés, ils s'alourdissent et plongent mieux à la poursuite des poissons. Après la pêche, il leur faut donc se tenir sur les rochers, les ailes étalées, pour se sécher.

La peau, sous les plumes, est chaude et douillette. C'est un refuge idéal pour les puces, les poux et toutes sortes de parasites, qui envahissent les oiseaux. Aussi voit‑on ces derniers ébouriffer souvent leurs plumes et explorer la base des hampes pour déloger la vermine. Les geais, les étourneaux, les choucas et bien d'autres espèces, se servent des insectes pour ce déparasitage. L'oiseau peut même s'accroupir sur une fourmilière, les plumes bien soulevées, pour permettre aux fourmis, furieuses, de déferler sur lui. Il arrive même à certains oiseaux de prendre des fourmis dans leur bec sans les blesser et de les tapoter contre leur

 

Chaque année exige de l'oiseau une grande dépense énergétique et un groupe d'oiseaux voisins, bien que tout aussi polygames et exhibitionnistes, ont résolu le problème de façon plus économique. Toujours en Nouvelle‑Guinée, les oiseaux à berceau parviennent à leurs fins en disposant sur le sol des brindilles, des petites pierres, des fleurs, des graines et bien d'autres matériaux choisis pour leur couleur. Le mâle construit des berceaux dans lesquels il expose son trésor. Une espèce entrelace des rameaux autour d'un arbrisseau comme un mât de cocagne qu'il décore de lichen. Un autre construit, une grotte à double entrée devant laquelle il dispose des fleurs, des champignons et des baies en plusieurs petits tas bien nets. D'autres oiseaux à berceau vivent plus au sud, en Australie. Parmi ceux‑ci, le ptilonorhynque satiné, dont le mâle gros comme un choucas, est bleu sombre et brillant. II construit une allée couverte de branchettes d'une cinquantaine de centimètres de large et de deux fois sa hauteur, qu'il oriente en général nord‑sud.

Devant l'entrée sud, au soleil, il entasse sa collection. Elle peut se composer de plumes provenant d'autres oiseaux, de baies, même de petits morceaux de plastique. Peu importe le matériau, c'est la couleur qui compte: elle tire vers le jaune ‑vert ou, mieux encore, vers un bleu proche du reflet métallique de ses propres plumes. Pour accumuler ses trésors, l'oiseau fait preuve d'ingéniosité; parfois il lés dérobe à un voisin; mieux encore, il lui arrive d'écraser une baie avec son bec et d'utiliser un pinceau d'écorce pour peindre avec le jus les parois de son allée. I1 existe un moyen infaillible de ramener vers son berceau un ptilonorhynque satiné, c'est de déparer sa collection par un objet d'une couleur différente, un coquillage blanc, par exemple. L'oiseau se précipite, cueille du bec l'intrus inesthétique et le rejette d'un bref coup de tête. Sa femelle est une créature éteinte.

 

 Tandis qu'elle fait sa tournée de visite dans les berceaux des environs, chaque mâle s'affaire autour de ses petits joyaux, les arrangeant sans cesse, les remontant du bec comme pour mieux les mettre en valeur et lançant des cris d'excitation. S'il réussit à attirer la femelle, l'accouplement s'effectue immédiatement ou peu après entre les murs de la tonnelle, accompagné de de tels battements d'ailes que lés murs peuvent s'écrouler. Chez les oiseaux, les gestes de l'accouplement sont maladroits. Sauf exception, le mâle n'a pas de pénis. I1 monte sur le dos de la femelle, et se tient en pinçant du bec les plumes de la tête de sa partenaire. Elle incline la queue de côté pour permettre aux deux cloaques de se toucher et aux spermatozoïdes, aidés par quelques mouvements du couple, de pénétrer dans l'oviducte. Les oiseaux n'arrivent pas toujours à rester immobiles assez longtemps et le succès n'est pas assuré: il arrive bien souvent que la femelle se dérobe ou que le mâle perde l'équilibre.

Tous les oiseaux sont ovipares. Ils ont hérité cette caractéristique de leurs ancêtres les reptiles et l'ont tous conservée, différant en cela des autres vertébrés parmi lesquels certains ont trouvé plus commode de laisser l'incubation se poursuivre dans leur appareil génital et de donner naissance à des petits vivants requins, guppis et hippocampes parmi les poissons; salamandres et certaines grenouilles parmi les amphibiens; scinques et serpents à sonnette parmi les reptiles.

les Oeufs sont‑ils pondus tout de suite après la fécondation. C'est alors que les oiseaux paient cher leur appartenance au groupe des homéothermes. Les reptiles en effet peuvent enfouir leurs neufs dans un trou ou sous les pierres et les abandonner, puisqu'ils n'ont pas besoin pour se développer de plus de chaleur que ne leur en dispense l'environnement.

Mais l'embryon d'oiseau comme ses parents, est un être à sang chaud, et il peut mourir de froid. Un oiseau doit donc assurer l'incubation de ses neufs et c'est une tâche dangereuse, car pendant cette période, il ne peut pas échapper à des ennemis en s'envolant. I1 en est empêché par le souci de ses neufs et de ses petits qui, abandonnés, risqueraient la mort. Et cependant, il faut bien que le nid reste accessible pour que les parents puissent aller et venir pendant l'incubation et ensuite partir à la recherche de leur nourriture et de celle de leurs oisillons.

Certains oiseaux peuvent placer leurs nids absolument hors de portée de tous les autres animaux: seul un oiseau peut se poser sur une saillie de la paroi verticale d'une falaise. Mais ce n'est pas non plus sans danger. L'oeuf peut rouler et tomber bien que certains oiseaux aient paré à ce risque en donnant à leurs neufs une forme très pointue qui fait que, lorsqu'ils roulent, ils décrivent un cercle fermé. De plus, quelques oiseaux de mer sont des prédateurs et, sauf si les parents montent bien la garde, les mouettes peuvent venir percer les coquilles et gober les neufs.

Les pluviers et les oiseaux qui vivent sur les rivages sablonneux ou pierreux n'ont d'autre solution que de pondre leurs neufs sur le sol parmi les graviers qui les dissimule mais ils sont alors à la merci du bipède inattentif qui met le pied dessus. La plupart des oiseaux cherchent à protéger leurs oeufs et leurs petits et se donnent beaucoup de mal pour construire des abris. Le pic‑vert fore des trous dans les arbres ou agrandit des fentes existant déjà. Le martin‑pêcheur creuse les bords des rivières, se maintenant en vol devant l'endroit choisi jusqu' à ce que la brèche soit assez grande pour lui permettre de se poser et travailler plus vite ensuite. La fauvette couturière de l'Inde coud ensemble des feuilles d'arbre.

 Elle perce des trous dans les marges et les réunit face à face ait moyen de fibres végétales. Elle fabrique ainsi une coupe élégante et pratiquement invisible parmi les feuilles dans laquelle elle construit ensuite un nid confortable. Les tisserins, membres de la famille des passereaux, déchirent en lambeaux des feuilles de palmier puis, pendus la tête en bas, les entrelacent avec adresse en forme de sphère creuse, parfois munie d'un long vestibule vertical. Le fournier, lui, vit dans des régions découvertes d'Uruguay et d'Argentine où les arbres, rares, sont tous très fréquentés par les oiseaux. Aussi se rabat‑il sans hésiter sur les poteaux de clôture et les bois morts dont il fait des supports pour son nid.

C'est une construction presque inexpugnable, qui a la taille d'un ballon de football et la forme d'un four de boulanger. L'entrée en est assez vaste pour admettre une main ou une patte mais une cloison intérieure barre ensuite le passage car l'orifice d'entrée dans la chambre de ponte est décentré par rapport à l'entrée principale. Le calao niche dans les trous d'arbres et le mâle prend des mesures radicales pour abriter des pillards sa femelle et ses oeufs : il mure l'entrée avec de la boue, ne laissant au centre qu'un petit orifice par lequel il passe à sa patiente partenaire la nourriture indispensable. La salangane d'Asie du sud‑est niche dans les grottes mais comme les saillies rocheuses sont souvent insuffisantes, elle en bâtit avec sa salive visqueuse mélangée parfois avec des plumes et de petits débris de racines. Ce sont les nids des salanganes que les Chinois appellent nids d'hirondelles et dont ils se targuent de faire le plus délicieux des potages.

Quelques oiseaux découragent les pirates en se servant d'autres animaux: une fauvette australienne s'installe près d'un nid de frelons; un martin‑pêcheur de Bornéo dépose ses neufs dans le nid d'une abeille particulièrement agressive; de nombreux perroquets creusent leurs trous dans des termitières.

Le lepoa, de l'Est australien, a réussi de la façon la plus ingénieuse du monde à échapper au devoir dangereux de la couvaison. I1 dépose ses neufs à l'intérieur d'un grand monticule construit par le mâle. Celui‑ci a entassé au centre des végétaux en décomposition et le tout est recouvert de sable. La saison de la reproduction est très longue, elle dure plus de 5 mois. Pendant tout ce temps, le mâle reste près du tumulus, le tâtant du bec pour surveiller sa température. Au printemps, les végétaux fermentent et dégagent de la chaleur. Lorsque celle‑ci s'élève trop, l'oiseau enlève le sable du sommet. L'été, comme le soleil peut au contraire surchauffer les neufs, le mâle épaissira couche de sable protecteur. En automne, la décomposition se ralentit. Le mâle, dans la journée, enlève le sable pour permettre au soleil de réchauffer le centre mais le recouvre le soir pour conserver la chaleur.

Un membre de la même famille qui vit dans les files du Pacifique utilise une autre technique: il enfouit ses neufs dans les cendres sur le flanc d'un volcan et laisse à la chaleur souterraine le soin de maintenir les oeufs à la bonne température.

Plusieurs espèces, parmi lesquelles le célèbre coucou, se dérobent aux périls et aux peines de la couvaison en déposant leurs oeufs dans le nid d'un autre oiseau et en lui déléguant le soin d'élever ses petits. Pour que les parents nourriciers ne jettent pas ses neufs par‑dessus bord, le coucou les camoufle et leur donne exactement l'aspect de ceux de la famille de remplacement, si bien que chaque espèce de coucou possède des parents adoptifs particuliers.

Le processus de l'incubation n'est pas simple. Ses plumes fournissent à l'oiseau une isolation si parfaite qu'entre lui et ses oeufs il existe un véritable écran. Certains oiseaux muent partiellement avant de commencer à couver, dénudant sur leur abdomen une zone de peau rose et irriguée par des vaisseaux sanguins dilatés. I1 pose cette région, très chaude, directement sur les neufs. D'autres oiseaux, qui ne muent pas, se plument eux‑mêmes pour obtenir ce contact de la peau nue sur les neufs, comme les canards et les oies. Le fou à pattes bleues, quia pour ,habitude de parader autour de son partenaire en levant très haut ses superbes pattes, les utilise ensuite comme incubateurs: il tient ses neufs au chaud en se tenant debout dessus.

Une fois l'incubation terminée, le poussin ouvre la coquille en tapotant avec un petit relief situé au bout de son bec. En général, les petits des oiseaux dont les nids sont posés sur le sol naissent couverts de duvet. Ils sont donc déjà camouflés et sortent du nid dès qu'ils sont secs pour chercher leur nourriture, surveillés par leur mère. Mais les espèces qui nichent dans les arbres ou dans des lieux protégés et inaccessibles sont sovent nues à la naissance et doivent être nourries par leurs parents. Après quelques jours, de petits tuyaux remplis de sang se forment dans la peau des poussins et les plumes principales apparaissent. Les tout jeunes aigles et les cigognes, en attendant d'avoir toutes leurs plumes, passent des jours entiers au bord du nid, battant des ailes, renforçant leurs muscles et s'exerçant aux mouvements du vol. Les fous de Bassan, sur leurs étroites corniches, font aussi ces exercices mais en se tournant prudemment vers l'intérieur du nid pour ne pas risquer de s'envoler trop tôt. De tels mouvements préparatoires sont cependant l'exception. La plupart des jeunes oiseaux semblent capables de voler presque spontanément. Ceux qui nichent dans des trous, comme les pétrels, réussissent à voler plusieurs heures la première fois et presque tous les jeunes oiseaux deviennent en un jour ou deux des voiliers accomplis.

Nous sommes cependant surpris de constater que, bien que maîtres incontestés de l'espace, les oiseaux semblent abandonner le vol dès que cela leur est possible. Parmi les plus anciens oiseaux fossiles postérieurs à Archaeopteryx, on trouve une sorte de sterne, très bon voilier, sans queue, au thorax muni d'un bréchet. Elle ressemble à nos oiseaux actuels; et pourtant, en même temps qu'elle, vivait l'immense Hesperornis, qui nageait et était presque aussi grand qu'un homme, mais qui ne volait plus. On a découvert aussi, datant de cette époque, des fossiles de manchots, qui sont des oiseaux qui ne volent pas.

Cette tendance à délaisser le vol peut également s'observer de nos jours. Quand une espèce d'oiseaux colonise une île dépourvue de quadrupèdes prédateurs, il semble que, tôt ou tard, elle donne naissance à une espèce qui ne vole pas. Lès râles, sur les îlots de la Grande Barrière, courent devant les intrus comme des,, poulets domestiques et ne peuvent s'enlever que faiblement dans les airs.

 Les cormorans aptères des Galapagos ont des ailes atrophiées qui ne leur permettent pas de voler. Sur les îles de l'océan Indien, il existait autrefois de grands pigeons non voiliers, le dodo à Maurice et le solitaire sur Rodriguez. Par malheur, les îles ne demeurèrent pas sans prédateurs : il y a quelques siècles, les hommes arrivèrent et en peu de temps exterminèrent ces oiseaux. La Nouvelle‑Zélande, qui ne recélait pas de prédateurs avant l'arrivée de l'homme, abritait également de nombreuses espèces d'oiseaux qui ne volaient pas. Les moas, les plus grands oiseaux qui aient jamais existé avec leurs 3 m de hauteur, ont été exterminés et de tout leur groupe, seuls leurs parents plus modestes, les kiwis, ont survécu. I1 existe aussi un curieux perroquet, le kakapo, ou perroquet‑hibou et un râle géant, le takahe, ou notornis, tous incapables de voler.

Ce retour à une vie terrestre témoigne du coût énergétique élevé du vol et de sa servitude alimentaire. Dès que la vie devient possible sans danger sur le sol, les oiseaux n'hésitent pas à vivre au sol. I1 semble donc qu'il ait fallu la présence menaçante des dinosauriens pour forcer Archaeopteryx à grimper dans les arbres

Que et st la crainte permanente des mammifères carnassiers qui y maintient les oiseaux actuels.

Entre‑temps, quelques millions d'années se sont écoulées. Les dinosauriens étaient éteints et les mammifères pas encore assez puissants pour dominer le monde. I1 semble qu'alors les oiseaux aient tenté de s'imposer. Il y a 65 millions d'années, un immense oiseau incapable de voler, nommé Diatryma, envahit les plaines du Wyoming. C'était un chasseur. II était plus grand qu'un homme et absolument terrifiant, avec son bec massif en forme de couperet. Diatryma disparut après quelques millions d'années mais notre faune comporte toujours des oiseaux géants . qui ne volent pas. Autruches, nandous, casoars ne sont pas de proches parents de Diatryma, mais leurs lignées sont très anciennes et nous savons que leurs ancêtres volaient. Ils possèdent en effet encore certains caractères des oiseaux voiliers : sacs aériens, becs kératinisés sans dents et os partiellement creux. Leurs ailes ne sont pas des membres antérieurs atrophiés mais des versions simplifiées de membres qui furent autrefois des ailes fonctionnelles et l'implantation de leurs plumes le prouve. Par contre, le bréchet de leur sternum a presque disparu et ne sert d'attache qu'à la~plus faible des musculatures. Leurs plumes, qui ne servent plus à voler, ont perdu leurs barbules et sont devenues des accessoires pelucheux tout juste utilisés pour la parade.

Le casoar en particulier, qui vit dans la jungle de Nouvelle‑Guinée, nous laisse imaginer combien Diatryma devait être effrayant. Ses plumes ont perdu leurs filaments et ressemblent à des cheveux rudes. Ses ailes trapues sont couvertes de pennes courbes aussi épaisses que des aiguilles à tricoter. Sur sa tête se dresse un casque osseux avec lequel il se fraie un chemin dans les broussailles. La peau de son cou et de sa tête est pourpre, bleue ou jaune et ornée de caroncules écarlates. Il mange des fruits, mais aussi de petits animaux: reptiles, mammifères, oisillons. A l'exception des serpents venimeux, c'est, de loin la créature la plus dangereuse de File. Acculé, le casoar se défend en décochant de violentes ruades capables d'éventrer un homme et de le tuer.

C'est un être solitaire, errant. Il émet un grondement sonore et menaçant qui porte à une distance considérable. I1 ne ressemble guère à un oiseau. Vous l'entendez se déplacer dans l'ombre de la jungle, vous voyez son oeil briller parmi les feuillages. Puis, soudain, il prend la fuite, terrible, forçant son chemin avec brutalité à travers les arbrisseaux et les buissons. S'il prenait goût au sang, il sèmerait l'épouvante.

Mais finalement, les oiseaux comme Diatryma ne se montrèrent pas assez fins chasseurs. Ils furent supplantés par d'autres animaux, petits et assez insignifiants mais très actifs. Comme les oiseaux; ils étaient homéothermes mais ils se protégeaient avec de la fourrure et non des plumes :c'étaient les premiers mammifères. Ils s'imposèrent peu à peu et ce sont leurs descendants qui à la fin prirent possession de la terre et cantonnèrent les oiseaux dans le ciel.

   

  Extrait d'un livre sur l'Univers de la vie  bibliothèque d'Arcachon  mis a jour en 2007

Extrait Les Animaux Découvrir Larousse 1972