Distribution des Oiseaux

 

CHAPITRE

Les Oiseaux, comme les autres animaux, présentent une grande diversité à travers le monde et se groupent en ensembles faunistiques bien définis, caractéristiques d'une région donnée.

Leur répartition dépend certes de leur évolution au cours des temps géologiques lointains. Les recherches paléontologiques ont montré que les Oiseaux étaient présents en de nombreux points du globe dès le Crétacé, mais aussi qu'ils n'avaient pas la même répartition qu'aujourd'hui. C'est ainsi qu'au Tertiaire vivaient en France, en Angleterre et en Allemagne des Trogons et des Perroquets, Oiseaux maintenant confinés aux régions tropicales; ceux‑ci témoignent aussi de l'existence à cette époque d'un climat très différent en Europe occidentale. Il est regrettable que nous ne disposions pas de documents paléontologiques plus nombreux qui permettraient de reconstituer les fluctuations de la distribution des Oiseaux et d'avoir quelques renseignements sur leurs voies de pénétration aux temps géologiques lointains.

La distribution actuelle des Oiseaux dépend surtout des phénomènes géologiques récents. Ces animaux très adaptatifs et jouissant de grandes facilités de déplacement ont réagi aux fluctuations climatiques du Quaternaire par des modifications sans aucun doute très profondes de leur répartition. C'est notamment ce qui s'est passé lors des grandes glaciations qui en ont remanié la distribution dans tout l'hémisphère Nord. L'Afrique tropicale a également subi des bouleversements climatiques au cours du Pléistocène, entraînant des déplacements de faunes importants (Moreau). Ces phénomènes poursuivent leur évolution à l'heure actuelle, comme en témoignent la régression ou l'expansion naturelle de l'aire de distribution de nombreuses espèces.

La répartition des Oiseaux dépend de l'histoire des terres émergées et de la distribution des centres de différenciation et de dispersion. Mais elle dépend surtout des exigences écologiques et de la distribution des habitats convenant à chacun d'entre eux. La biogéographie doit s'appuyer au moins autant sur l'écologie que sur la paléogéographie.

La répartition des Oiseaux, comme celle des autres animaux, peut être étudiée à un moment donné. Il convient cependant de ne pas oublier son aspect dynamique, les distributions étant en voie de remaniement constant en fonction des fluctuations du milieu. La biogéographie est ainsi, avant tout, l'étude d'un phénomène en pleine évolution.

1° Ubiquité de la classe avienne

Les Oiseaux sont répartis sur la quasi‑totalité du globe. La grande majorité d'entre eux est bien entendu distribuée à travers les terres émergées, mais les océans n'en sont pas privés pour autant, Pétrels et Albatros étant en effet pélagiques pendant une partie de leur cycle annuel. Les Oiseaux sont de tous les Vertébrés ceux qui remontent le plus loin vers le nord: on a signalé à environ 240 kilomètres du pôle Nord, par 88°de latitude nord, des Mouettes et même des Passereaux comme le Bruant des neiges Plectrophenax nivalis. Ils se rapprochent également le plus près du pôle Sud: sir Edmond Hillary a rencontré des Pétrels géants Macronecies giganteus à 80 kilomètres du pôle Sud, au cours de sa traversée du continent antarctique. Les Oiseaux sont ainsi présents d'un pôle à l'autre, avec, bien entendu, des densités très variables selon les latitudes.

Ils ont également une grande répartition altitudinale. Ils nichent jusque vers 5000 m d'altitude dans les Andes, pratiquement à la limite de la végétation et des neiges éternelles, et montent même plus haut au cours de leurs vols migratoires: des Oies ont été observées se déplaçant à plus de 9000 m; des Canards et des Echassiers survolent les chaînes de l'Himalaya.

La vaste répartition de la classe prise dans son ensemble est en rapport avec ses facultés d'adaptation et ses caractéristiques propres, les Oiseaux étant bien plus avantagés que les autres Vertébrés terrestres. Les Batraciens et les Reptiles sont arrêtés par le froid, qui les empêche de sortir des zones chaudes ou tempérées. Les Mammifères sont limités par leur locomotion terrestre et par le fait que, ne pouvant se déplacer d'une manière économique et rapide, ils ne peuvent, sauf exceptions, coloniser des pays inhabitables une partie de l'année; tes Oiseaux, grâce à des migrations aériennes aisées, peuvent au contrais;, échapper à ces contingences et exploiter des ressources alimentaires fugaces.

Si les Oiseaux, pris dans leur ensemble, ont une répartition ubiquiste, il en est de même de quelques groupes beaucoup plus restreints. C'est le cas de certains Limicoles (Charadrius), Canards (Aras), Hérons (Nycticorax) et Pigeons (Columba). Les Mouettes du genre Larus se trouvent le long des côtes du monde entier, sur une bonne partie des eaux douces à l'intérieur des continents, et même sur les lacs de grande altitude du Tibet et des Andes, jusqu'aux environs de 5000 m. Cette répartition ubiquiste se remarque parfoismême au sein de l'espèce, par exemple le Balbuzard Pandion haliaetus, la Chouette effraie Tyto alba et le Tourne-pierres Arenaria interpres, Limicole rencontré partout à travers le monde comme nicheur ou comme hivernant.

Les Oiseaux ubiquistes sont cependant peu nombreux, même parmi les groupes à vaste répartition (très peu de Passereaux le sont). A l'opposé de ces Oiseaux appartenant généralement à des ordres et à des familles relativement primitifs et d'évolution ancienne, très adaptatifs ou inféodés à un milieu largement répandu à travers le globe, figurent des types beaucoup plus étroitement localisés. Beaucoup de familles sont propres à un continent ou même à une partie de celui-ci. C'est le cas des Pipridae, Cotingidae, Dendrocolaptidae. Furnariidae et Trochilidae, d'Australie et d'Amérique tropicale, et des Musophagidae d'Afrique. D'autres sont inféodées à un milieu déterminé, comme par exemple les Trouons. qui ne sortent pas des forêts tropicales humides, aussi bien dans l'Ancien que dans le Nouveau-Monde. Certaines espèces, parfois même certains genres, ont une répartition remarquablement étroite. Ces endémismes, que l'on observe fréquemment dans les îles, où ils s'expliquent par suite de l'isolement, se rencontrent parfois même dans les grandes masses continentales. Les cas les plus étonnants sont ceux de la Fauvette de Kirtland Dendroica kirtlandi, qui ne niche que dans une faible partie du nord du Michigan, et du Pinson d'Ipswich ,Passerculus princeps, qui ne niche que sur Sable Island, île de la Nouvelle-écosse, Canada, dont la surface est d'environ 5O km2. Les espèces montagnardes sont souvent propres à un massif (comme par exemple certains Oiseaux andins, Trochilidés en particulier), parfois à une vallée.
Les méthodes d'investigation conditionnent sans doute cette distribution. La compétition avec une autre espèce ne permet d'expliquer qu'un nombre limité de cas; elle doit être elle-même liée à des facteurs écologiques, une espèce dominant l'autre dans un milieu donné et réciproquement.

Evolution de l'aire géographique au cours de l'histoire géologique

Faute de témoignages paléontologiques suffisants et du fait de l'ancienneté de l'histoire des Oiseaux et de leur évolution dès le début du Tertiaire, il est impossible de reconstituer avec précision l'historique de leur distribution à travers le monde. De plus, comme pour les autres animaux, il y eut sans aucun doute des fluctuations considérables et des remplacements de faunes entières par d'autres très différentes. Ce phénomène est intervenu beaucoup plus rapidement que dans le cas des Mammifères, en raison de la vitesse d'évolution des Oiseaux au cours du Tertiaire. Malheureusement, aucun témoignage de ces remplacements faunistiques, si visibles chez les Mammifères (par exemple Marsupiaux et Placentaires, faunes successives de l'Amérique du Sud) n'a été conservé.

Certains groupes aviens ont eu jadis une bien plus vaste répartition qu'à l'époque actuelle. Ces répartitions passées, suivies de disparition totale dans une partie de l'aire primitive, s'expliquent en fonction des fluctuations climatiques. Il est probable que certains Oiseaux comme les Perroquets et surtout les Trogons ont toujours été inféodés à un type d'habitat et, partant, à un climat très particulier, du fait de leurs exigences écologiques, notamment de leur régime alimentaire.

D'autres Oiseaux, au contraire, semblent avoir évolué au cours de toute leur histoire en des lieux bien définis dont ils ne se sont pas évadés. C'est le cas des Oiseaux aptères, Moas de Nouvelle-Zélande et Aepyornis de Madagascar, dont on n'a retrouvé aucune trace ailleurs, même pas dans l'histoire géologique la plus reculée. Il en est de même des Manchots, dont la répartition fut toujours strictement australe.

On peut admettre, à titre d'hypothèse, que les centres de différenciation des Oiseaux se sont trouvés dans l'hémisphère Nord, et peut-être même en Eurasie. Les Oiseaux se seraient répandus vers le sud lors d'émigrations probablement rapides, envahissant les masses continentales australes Afrique, Amérique du Sud et Australie, ainsi que les île du Pacifique montre que l'hémisphère Nord comprend autour du pôle des masses terrestres homogènes. Au contraire, l'hémisphère Sud est moins riche en terres émergées, toutes largement disjointes et séparées par des océans d'étendue considérable. Cela explique la relative homogénéité des faunes boréales, d'autant plus que les climats sont uniformément répartis suivant des zones successives tout autour du pôle, alors que les faunes australes sont au contraire très différentes d'un continent â un autre.

Ces régions u excentriques » sont devenues elles-mêmes les centres de différenciation d'une avifaune hautement spécialisée. C'est avant tout 1e cas de l'Amérique du Sud, OÙ le nombre de types d'Oiseaux différenciés dans ce continent 'st remarquablement élevé, m'ais aussi de la Nouvelle-Guinée, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Dans ces dernières régions, l'isolement insulaire a empêché une expansion en retour des groupes ainsi évolués. Les Oiseaux australo malais et papous, sans doute descendants 'un stock asiatique très ancien, n'ont guère colonisé en pour la Malaisie, du fait du fractionnement des terres et aussi dans une certaine mesure, de la résistance à l'invasion offerte par les Oiseaux du Sud-est asiatique, constituant une avifaune prospère et répartie en communautés solides.

Au contraire, l'émigration en retour est beaucoup plus  dans le Nouveau-Monde. L'avifaune d'Amérique comprend une bonne proportion d'éléments néo tropicaux en provenance d'Amérique du Sud: Tangaras, :oiseaux-mouches, Ictéridés ne sont que les plus visibles de Oiseaux d'allure tropicale installés dans un pays tempéré. on soulignera qu'aucun de ces Oiseaux néo tropicaux pénétré dans l'Ancien Monde, en échange des souches celui-ci a fournies à l'Amérique tropicale.

L'avifaune tropicale de l'Ancien Monde n'a guère envahi l'Europe, à l'exception de quelques éléments très peu nombreux (Rollier, Guêpier, Loriot et peut-être les Martinets). a circonstances géographiques et des différences profondes dans la structure des continents expliquent ces faits. l'Europe tempérée est séparée de l'Afrique tropicale par une étendue marine, la Méditerranée, et par un désert peu propice ;a l'extension des espèces, le Sahara. Plus à l'est, l'Asie est séparée en deux par une barrière de déserts s'étendant du  Proche-Orient à la Mongolie, et par des chaînes de montagnes élevées. De ce fait, les faunes tropicales et les faunes tempérées ou froides sont très nettement séparées par des  barrières géographiques et écologiques très étendues. les mélanges faunistiques sont rares; les faunes éthiopienne orientale sont nettement distinctes de la faune paléarctique, passage s'effectuant brutalement de part et d'autre  dans la région méditerranéenne et au Sahara, alors verdoyant. Après le retrait des glaciers, l'avifaune reprit le chemin du nord à mesure que les terres se trouvaient dégagées. Mais une partie de la faune boréale demeura dans des régions plus méridionales au bénéfice de l'altitude. C'est ainsi que l'on peut expliquer des distributions discontinues, que les biogéographes qualifient de boro-alpines: certaines espèces répandues dans les zones froides à haute latitude ont laissé des relictes* dans des massifs montagneux plus méridionaux; les aires de ces populations, souvent évoluées en races particulières, constituent de véritables îlots résiduels, séparés de l'aire principale de l'espèce par des zones étendues que l'espèce ne peuple pas pour des raisons écologiques évidentes. C'est ainsi que l'on trouve des Lagopèdes dans les Alpes; des Becs-croisés, des Corneilles et des Juncos dans les montagnes d'Amérique centrale, au milieu d'une avifaune tropicale répandue à travers les régions basses.

Les glaciations quaternaires ont également eu de profondes répercussions sur le niveau des océans. Des variations du niveau des mers de l'ordre d'une centaine de mètres sont admises par les géologues. De ce fait, la configuration des terres émergées a changé considérablement. La Malaisie et les îles limitrophes, Java, Bornéo et Sumatra, ne formèrent lors des grandes glaciations quaternaires qu'un seul continent, scindé ensuite par des bras de mer encore maintenant peu profonds. Cela explique que ces terres, faisant partie d'un même socle, sont habitées par une faune assez uniforme, en fort contraste avec celle de Célèbes et des petites îles de la Sonde. Le détroit de Macassar, entre Célèbes et Bornéo, est en effet bien plus profond, marquant la limite occidentale d'une zone beaucoup plus instable comprise entre le socle malais et le socle australo-papou (Sahul); la faune n'a jamais pu communiquer librement à ce niveau, d'où les différences faunistiques de part et d'autre de cette frontière biogéographique (ligne de Wallace*).

Des exemples de ce type pourraient être multipliés. Ils montrent combien les phénomènes géologiques récents ont eu d'importance dans la distribution actuelle des Oiseaux. Il est évident qu'il en fut de même dans des temps plus reculés, sans que l'avifaune actuelle n'en conserve nécessairement de traces dans sa distribution.

Distribution actuelle des Oiseaux

On constate que de l'Angleterre au Japon les Oiseaux sont à peu près identiques; la physionomie de l'avifaune reste semblable, même si les espèces changent. Et pourtant plus de 11 000 kilomètres séparent ces deux régions. En revanche, il suffit de traverser le Sahara pour se trouver .parmi les Oiseaux tout à fait différents de ceux d'Europe. Cela est parfois sensible sur de courtes distances, pat exemple entre l'Afrique et Madagascar, entre Bornéo et Célèbes. Ces variations faunistiques, très nettes suivant les régions considérées, ont permis de définir des faunes et de découper la surface du globe en un certain nombre de régions biogéographiques.

Il faut d'ailleurs remarquer que, plus que tout autre groupe animal, les Oiseaux ont servi à caractériser les régions biogéographiques, du fait de l'intérêt des ornithologistes pour cette science naissante au siècle dernier et de l'état d'avancement de la systématique avienne dès cette époque; Sclater, en 1858, traça les limites des régions naturelles telles que nous les admettons encore à l'heure actuelle. Puis, en 1876, Wallace poussa l'analyse plus loin en fondant véritablement une science nouvelle, basée largement sur des considérations ornithologiques.

Les régions biogéographiques 1 désormais classiques sont indiquées ci‑dessous avec les groupes avions qui les caractérisent. On notera que ces régions ont parfois des frontières nettes, en particulier quand elles sont bordées par des mers étendues. Mais leurs limites sont le plus souvent graduelles et passent par des zones de transition où se mélangent des éléments appartenant à des ensembles faunistiques différents.

REGION PALÉARCTIQUE

Cette région comprend l'Europe, l'Afrique du Nord et l'Asie septentrionale jusqu'à l'Iran, l'Afghanistan, l'Himalaya et le nord de la Chine. Cette vaste aire est elle‑même divisée en un certain nombre de sous‑régions essentiellement caractérisées par leur climat; il est bien évident que les parties les plus septentrionales telles que la Laponie et le nord de la Sibérie ne peuvent pas avoir la même faune que le bassin méditerranéen et les déserts chauds du Sahara et d'Arabie.

Cette région dans l'ensemble est pauvre et ne comprend que très peu d'Oiseaux qui lui sont propres. Une seule famille est endémique parmi les 69 qui s'y rencontrent, celle des Prunellidae (Accenteurs). Plusieurs autres familles (Tetraonidae, Bombycillidae, Certhiidae) se rencontrent ailleurs que dans la région paléarctique; mais, mieux diversifiées en Eurasie, elles en sont caractéristiques, de même que beaucoup d'Oiseaux constituant les familles des Alcidae (Pingouins) et des Gaviidae (Plongeons), à répartition circumpolaire. Au niveau du genre, les types aviens caractérisant la région paléarctique sont en nombre plus élevé.


 

On remarquera que cette région peut être également caractérisée d'une manière négative, un grand nombre d'Oiseaux tropicaux typiques des régions éthiopienne et orientale s'arrêtant à ses limites.

Environ 1100 espèces d'Oiseaux; répartis en 63 familles et parmi lesquels 579 espèces de Passereaux, habitent la région paléarctique. Les types dominants sont les Rapaces, Chouettes, Pics, Grives, Mésanges, Corneilles, Fauvettes et Pipits, Limicoles et Canards. Beaucoup de ces Oiseaux sont migrateurs du fait des rigueurs du climat hivernal, une partie d'entre eux gagnant les régions tropicales d'Afrique et d'Asie.

RÉGION NEARCTIQUE

 Cette région s'étend sur l'Amérique du Nord, y compris le Groenland, jusqu'au Mexique vers le sud; on en fixe souvent les limites à l'isthme de Tehuantepec.

Elle présente d'incontestables affinités avec la région paléarctique, au point que certains biogéographes l'ont réunie à celle‑ci sous le nom de région holarctique. Un nombre important d'Oiseaux peuplant les zones les plus septentrionales sont en effet communs à ces deux parties du monde, du fait de conditions écologiques très semblables. Ces éléments circumboréaux communs ont de moins en moins d'importance vers les zones plus méridionales.

L'Amérique du Nord a reçu au cours des temps géologiques. un apport substantiel en provenance de la région paléarctique orientale, à travers le détroit de Béring. Fréquentée par de nombreux animaux ainsi que par l'Homme, cette voie d'invasion où le climat fut souvent plus clément



A SUIVRE